"Les trois glorieuses"
Les maisons centrales n’accueillent en principe qu’une population pénale condamnée à plus de six mois de prison ; pourtant sous le régime de Vichy de nombreux internés administratifs (emprisonnés sans avoir été jugés) y séjournèrent. Le transfert dans cette prison réputée bien gardée d’environ deux cents internés administratifs jugés particulièrement dangereux, dénommés« irréductibles 1 et 2 », est annoncé au directeur en juillet 1943. Il refuse catégoriquement en faisant valoir l’illégalité de cette mesure. Cent soixante-huit internés administratifs arrivent néanmoins à Eysses entre le 23 octobre et le 27 novembre 1943. Leur transfert est prévu le 8 décembre.
Que se passe-t-il pendant ces trois journées appelées « Trois Glorieuses » (9, 10, 11 décembre 1943), durant lesquelles l’administration pénitentiaire découvre le « bataillon d’Eysses »? Le préfet du Lot-et-Garonne parle « d’incidents graves du 10 décembre survenus en présence de M. l’Intendant de police H., qui a pu constater personnellement la rapidité avec laquelle huit à neuf cents individus avaient pu sortir des dortoirs et se rendre dans la cour à proximité de la porte charretière ».
Ce départ échoue pour des raisons matérielles (le matériel roulant ayant été reconnu insuffisant pour loger les escortes et leur protection : soixante gendarmes et deux brigades de GMR), et des raisons politiques : les internés refusent de se laisser conduire en zone nord. En effet, la résistance extérieure, en particulier les cheminots, avertis de la destination zone nord du convoi, intervient pour empêcher le départ en omettant de fournir les wagons nécessaires et prévient les internés de leur destination. Ceux-ci sont donc réintégrés à Eysses au bout de plusieurs heures.
Le lendemain, 9 décembre, l’action se poursuit dans la prison. Le départ des internés administratifs étant remis à 13 heures, les détenus se regroupent dans le réfectoire qu'ils refusent de quitter. Cette action constitue une première victoire puisque les délégués obtiennent la promesse du capitaine de gendarmerie qu’ils resteraient à Eysses jusqu’à la construction d’un camp en zone sud.
Pourtant, le 10 décembre à six heures du matin, l’intendant de police de Toulouse, tente de prendre possession des internés par la force, accompagné de deux cents cinquante GMR et gendarmes. Ceux-ci s’étant barricadés à l’intérieur, la troupe fait usage de grenades lacrymogènes et suscite l’intervention des condamnés des autres préaux. C’est la première action du « bataillon d’Eysses ». Les GMR, gendarmes et gardes extérieurs, sont impuissants face à des hommes préparés militairement mais désarmés avançant en colonnes par quatre et chantant la Marseillaise.