"L'esprit d'Eysses" : le témoignage de Marcel BENVENUTI
« L’état d’esprit et l’organisation qui existait entre tous les détenus tranchent totalement avec les appréciations qui ont été faites et publiées par les vichystes. À l’intérieur le fort contingent communiste à partir de décembre 1943 a toujours eu une attitude démocratique, amicale, chaleureuse envers les autres détenus. Il en a été de même lors de l’arrivée en février 1944 de nombreux résistants appartenant à d’autres tendances et qui ont appliqué les mêmes principes. Toutes les décisions ont été prises à l’unanimité y compris la plus difficile : celle de la tentative d’évasion du 19 février 1944, difficile parce que très risquée car les organisations extérieures de la résistance n’étaient pas unanimement d’accord pour apporter leur aide. Si la décision a été maintenue, après beaucoup de discussions, c’est parce que nous pensions que tôt ou tard, nous serions pris comme otages et qu’il valait mieux agir que subir avant qu’il ne soit trop tard …
Bien des années plus tard, nous avons pu apprendre que notre remise aux autorités allemandes était programmée depuis longtemps. Si elle avait réussie, notre tentative aurait pu sauver la vie à la plupart des 400 déportés qui ne sont pas revenus et éviter de terribles souffrances physiques et morales aux 1200 envoyés à DACHAU.
En décembre 1943, l’organisation interne a été décidée en commun : Henri AUZIAS (communiste) et Stefan FUCHS (gaulliste) ont représenté jusqu’au dernier jour l’ensemble des détenus pour l’obtention auprès de la Direction, de conditions de vie exceptionnelles pour les emprisonnés et ceci dans la camaraderie la plus totale (cf déclaration de FUCHS après la guerre). Dès le premier jour dans les préaux, les corvées, les loisirs, la solidarité ont été organisés par des responsables désignés sans tenir compte de leurs tendances politiques ou religieuses mais uniquement à cause de leurs compétences et de leur bonne volonté. Les professeurs de cours organisés étaient souvent non communistes parce qu’ils étaient plus instruits ; les discussions politiques et philosophiques plus souvent par les communistes parce qu’ils étaient plus politisés mais tous les détenus y participaient sans polémique, sans exclusivité et dans une parfaite tolérance.
Les corvées étaient acceptées par tous et par chacun.
Une petite anecdote : c’est vrai que au départ, certains jeunes catholiques étaient génés de se trouver avec certains de ceux qu’on leur avait présentés comme étant des athées intolérants et ennemis de toutes les croyances puis un dimanche alors que certains d’entre eux étaient de corvée, des jeunes communistes se sont proposés pour les remplacer ; à partir de là, la glace fut rompue et tous se retouvèrent par la suite jeunes dans le FUJP (Front Uni de la Jeunesse Patriotique) dont les responsables siègant au Comité du Front National étaient : Marcel BENVENUTI (communiste) et Paul MORIN (gaulliste). La chorale, les concerts, la danse , etc ont été organisés par tous et pour tous ainsi que les jeux olympiques de la Centrale d’Eysses au cours desquels se sont confrontés des jeunes de 4 préaux.
Le Front National* clandestin était composé de membres de tous les courants de la Résistance; au sein du Bataillon FFI étaient regroupés tous les détenus, et les responsables militaires désignés uniquement en fonction de leur expérience. La date de la tentative d’évasion et son organisation ont été décidées à l’unanimité et les responsabilités, les armes, ont été distribuées sans exclusivité.
* Front National pour la Libération de la France, organisation de Résistance créée par le Parti Communiste Français, ouverte à d’autres courants politiques
C’est de cette situation qu’est né et s’est développé « L’ESPRIT D’EYSSES » : tous participants, tous responsables, tous armés, tous solidaires, chacun avec ses particularités totalement et réciproquement respectées et appréciées. Cet esprit qui nous a permis dans les camps, les commandos, de soutenir, d’encourager les plus faibles, tous les plus faibles; bel esprit qui nous a guidé au cours de notre existence, dans notre famille, avec nos amis, dans toutes sortes d’organisations caritatives, syndicales, politiques, dans tous nos rapports avec les autres, de faire preuve de tolérance, de compréhension, de chaleureuse amitié, de solidarité parfois même jusqu’à l’incompréhension de notre entourage qui ne comprenait pas pourquoi.
Nous, nous savons pourquoi, nous saurons toujours pourquoi »